Comment devient-on organiste ?
La réponse est simple : par passion ! Une passion qui commence très tôt chez les deux organistes titulaires de la paroisse.
Dès l’enfance, Do a été très impressionné par l’orgue qu’il entendait pendant la messe : « Le lien entre la liturgie et la musique a marqué mon esprit d’enfant » dit-il. C’est tout naturellement que ses études l’ont mené vers l’apprentissage de cet instrument à Nancy d’abord, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et enfin au Conservatoire National de Région de Rouen. Lié à notre paroisse depuis plus de dix-sept ans, il tient l’orgue le samedi soir à Saint-Symphorien, le dimanche matin à Sainte-Geneviève et assure la plupart des obsèques à Saint-Symphorien ainsi que quelques messes exceptionnelles : ordination, messes pour enfants… A cette activité liturgique, s’ajoutent des cours ainsi que des concerts à Paris, en province et en Allemagne.
Pour Marcel, la passion de l’orgue est profondément liée à la personne de son grand-père qui jouait de l’harmonium dans l’église de son village. « Il avait très peu de connaissance musicale, mais il avait un harmonium chez lui et je l’écoutais souvent jouer. » Jeune lycéen, il commence à accompagner des offices religieux. Sa formation en conservatoire lui a permis de recevoir l’enseignement de grands organistes, notamment à l’école César Franck, et de baigner dans un milieu artistique et spirituel qui l’a beaucoup marqué. Depuis 1988, il tient l’orgue de Saint-Symphorien pour les trois messes successives du dimanche matin, les offices des jours de fête ainsi que les mariages...
Même son de cloches chez les trois organistes bénévoles qui se relaient le dimanche soir, pendant l’été ou pour d’autres cérémonies.
« Les sonorités de l’orgue m’ont toujours attiré, confie Mi qui, comme beaucoup, a commencé par le piano. A douze ans je suis littéralement resté figé dans la collégiale de Colmar en écoutant l’organiste jouer, pendant que mes parents me cherchaient dans la foule. » Des années plus tard, il commence l’apprentissage de l’orgue, d’abord à l’école de musique du Chesnay, puis à l’Institut Catholique de Paris.
J, quant à lui, se qualifie volontiers de saltimbanque : « Je n’ai jamais appris la musique : le Bon Dieu m’a donné la musique dans le cœur et je la restitue » explique-t-il. Il s’agit bien d’une passion, surtout quand on sait qu’il assure la fonction d’organiste bénévole à Saint-Symphorien depuis 1972 ! Il s’est mis désormais en retrait, à défaut d’une retraite, en disant : « Place aux jeunes ! »
Et de jeunes organistes, il y en a ! Gw, du haut de ses deux mètres, est le « petit dernier » qui a rejoint en septembre l’équipe des bénévoles. C’est en écoutant l’organiste de Saint-Jean de Luz qu’est né le désir d’apprendre à jouer de l’orgue, instrument que lui-même qualifie pourtant « d’ingrat ». Il ne compte que cinq années d’apprentissage à son actif, mais la passion n’en est pas moins ardente !
Le roi des instruments
Au fil des siècles, l’orgue s’est imposé comme l’instrument liturgique par excellence. Conçu pour un lieu particulier, l’orgue a en effet un volume sonore capable de remplir un vaste espace comme la nef d’une église. D’autre part l’orgue est un instrument complet grâce à la riche variété de ses timbres : « [Il] est appelé depuis toujours et à juste titre le roi des instruments musicaux, parce qu’il reprend tous les sons de la création et il se fait l’écho de la plénitude des sentiments, de la joie à la tristesse, de la louange à la lamentation » explique Benoît XVI. Ma, intarissable sur le sujet, ne saurait démentir le Saint Père. Pour lui, la musique n’est pas inventée par les hommes ; elle est dans la nature : « La musique, c’est une petite parcelle de la Révélation et elle a naturellement sa place dans l’église. L’intelligence humaine la découvre, la développe et l’organise librement. »
Le rôle de cet instrument dans les célébrations a cependant évolué au cours des siècles. C’est ainsi qu’à la chapelle royale, à l’époque de Louis XIV, les pièces musicales alternaient avec le chant et n’avaient pas vocation de le soutenir. Aujourd’hui le rôle d’accompagnement dans les célébrations est primordial.
Au service de la liturgie
L’organiste est au service de la liturgie. La mission est double : accompagner l’assemblée, épauler les animateurs… C’est souvent à l’organiste que revient l’initiative de mettre en route les chants par un prélude : en donnant le ton, il invite l’assemblée à chanter et à participer davantage à la liturgie. M précise que « c’est roboratif d’accompagner une assemblée ; c’est moins égoïste qu’une petite sonate au piano… » Pour J, c’est même une forme de prière. X assure que depuis qu’il accompagne les messes à l’orgue, il porte une attention plus grande à la prière eucharistique et aux psaumes : « Jouer de l’orgue m’a permis de connaître la liturgie en profondeur. »
M se souvient d’une messe qui s’était déroulée sans animateur, suite à une défection imprévue. En une minute, il a fallu improviser un programme avec le célébrant et choisir des morceaux simples et connus. « O surprise ! Le feu a pris ! raconte-t-il avec enthousiasme. L’assemblée a chanté, comprenant ce qui se passait, malgré l’absence d’animateur. C’était formidable ! » D a souvent vécu cette même expérience, surtout en été quand les animateurs se font plus rares : « Le fait d’être handicapé visuel n’est pas pour moi un problème en pareille situation, puisque j’ai en mémoire la plupart des chants et je peux donc rebondir instantanément. Mon handicap m’aide finalement car je ne perds pas de temps à chercher des partitions au dernier moment ! »
L’improvisation et la création ont aussi leur place dans ce service. Il arrive aux organistes de devoir harmoniser à quatre voix lorsqu’il n’y a pas de partition disponible, par exemple pour les psaumes : la chorale de Sainte-Geneviève chante régulièrement des psaumes harmonisés par Do. « D’ailleurs, insiste Ma la formation de l’organiste comporte aussi l’étude de l’harmonie : « grammaire musicale » qui nous apprend à parler correctement en musique, notamment pour l’accompagnement et l’improvisation. »
Parfois aussi l’organiste joue seul et propose des morceaux qui aident à la méditation. L’offertoire par exemple, qui s’insère entre l’Amen de la prière universelle et le début de la prière eucharistique, n’est pas toujours chanté. D choisit alors ses morceaux en fonction d’une liturgie bien précise : « On ne joue pas la même chose à Noël et à Pâques » et s’astreint à jouer chaque semaine des morceaux différents : « Il est bon, poursuit-il, d’éduquer l’assemblée au répertoire d’église écrit par de grands compositeurs. » Il attache aussi beaucoup d’importance aux morceaux d’entrée et de sortie qu’il prolonge parfois de quelques minutes, « pour que l’assemblée puisse quitter l’église dans la joie. » Un écho des paroles de Benoît XVI : « L’orgue peut conduire à la joie de la foi. »
Tous sont très attachés à la qualité de leur prestation. « On travaille pour la gloire de Dieu » rappelle M. Sur ses partitions, Bach inscrivait « SDG : Soli Deo Gloria, pour la gloire de Dieu seul. » C’est bien dans cet esprit que chacun œuvre. « L’organiste, poursuit M, essaye donc de jouer, humblement, le mieux possible : je tiens vraiment à la qualité. »
De la technique et du cœur
Anches, cuillères, bourdons, quintaton, gambe, salicional… voilà un vocabulaire sans doute ignoré du commun des mortels, mais largement maîtrisé par les organistes qui connaissent les instruments de la paroisse. A Saint-Symphorien, l’orgue de type romantique français a été conçu par un facteur versaillais, Abbey, à la fin du XIXème siècle. Ma, en arrivant le dimanche matin, l’écoute d’une oreille inquiète émettre un petit bourdonnement : « Il souffre du chauffage ! » A Sainte Geneviève, l’orgue, plus récent, de style allemand baroque a été conçu par le facteur alsacien Schwenckedel dans les années 1960 : on n’y joue pas tout à fait les mêmes morceaux.
Tenir un orgue pourrait paraître très technique au paroissien de base, mais « ce n’est pas de la technique, c’est du mouvement, on s’adapte à chaque morceau et on doit retrouver le projet du compositeur » explique J qui s’approprie volontiers cette maxime de Beethoven : « La musique vient du cœur et va au cœur. »
Chacun rend donc le même service mais le vit à sa manière. Do qui assure souvent les obsèques reconnaît que ce sont des moments très forts, qui l’invitent à s’adapter aux demandes spécifiques des familles et à donner le meilleur de lui-même. Il apprécie les contacts qu’il peut avoir à cette occasion avec les prêtres. Au fil des années, il a tissé des liens de complicité avec certains animateurs. M, quant à lui, ne se lasse pas de dire que la grande musique a sa place dans l’église et que l’organiste est là pour servir et jouer quelque chose de beau.
« Les multiples possibilités de l’orgue, écrit Benoît XVI, nous rappellent d’une certaine façon l’immensité et la magnificence de Dieu. » La musique, dans sa beauté, est un hommage à Dieu. D se prend même à rêver de récitals d’orgue dans l’église Saint-Symphorien dont l’acoustique est particulièrement agréable : « Notre orgue accompagne bien la liturgie, mais je rêverais, confie-t-il, d’un instrument plus important qui puisse un jour servir la beauté musicale dans des concerts. »
Sans doute, par habitude, oublions-nous trop facilement que le jeu des organistes accueille les fidèles, crée un climat de recueillement dans l’église, unifie les actions de la liturgie, nourrit les silences… Ils sont perchés dans leur tribune : nous ne les voyons pas monter et encore moins descendre. Sans doute oublions-nous trop facilement le service qu’ils nous rendent fidèlement tous les dimanches…
Merci, Mesdames & Messieurs !